L’élève, l’application et le professeur

Comment, en tirant parti de la technologie, enseigner mieux ? Une question explorée à l’HEMU par différents projets de recherche, que deux années de crise sanitaire et de cours à distance ont rendu d’autant plus nécessaires.

« Alors que l’enseignement à l’ère numérique et les enjeux de sa numérisation sont des sujets largement débattus depuis le milieu des années 1980, le monde de l’enseignement musical […] est resté assez peu concerné par cette mouvance », note Angelika Güsewell, directrice de la recherche à l’HEMU, dans un article qu’elle a coécrit avec l’universitaire Pascal Terrien, et qui vise à tirer un bilan de la numérisation accélérée des modalités d’enseignement durant cette période.

Une numérisation dont a voulu tirer profit Anthony Di Giantomasso, chef de chant et professeur de phonétique à l’HEMU, intéressé à documenter l’utilité et à stimuler l’usage des applications sur smartphone dans l’apprentissage professionnel des chanteurs et chanteuses. « Comme le chant est un instrument interne, qui n’est pas doté de touches comme un piano, le travail se fonde principalement sur les sensations et sur les retours que peut amener l’enseignant·e. J’ai voulu trouver des outils numériques capables de rendre les étudiant·es plus autonomes dans leur travail, en leur offrant une sorte de paire d’oreilles externes », confie le responsable du projet de recherche AppMe, mené en collaboration avec des professeur·es de la HEM de Genève et du Conservatoire de la Suisse italienne.

J’ai voulu trouver des outils numériques capables de rendre les étudiant·es plus autonomes dans leur travail, en leur offrant une sorte de paire d’oreilles externes

Anthony Di Giantomasso, responsable du projet de recherche AppMe

Dans la large palette des outils musicaux à disposition sur smartphone, c’est le spectrogramme qui a retenu l’attention du chercheur. « En transformant la musique en information visuelle, cette application permet d’offrir ce que j’appelle un bio-feedback immédiat, à la fois sur la hauteur de la note mais aussi sur la richesse de ses harmoniques. C’est très facile d’usage, et cela permet de gagner un temps immense. Je l’utilise désormais dans mes cours pour constituer une sorte de triangle pédagogique entre l’élève, l’application et le professeur. Les bénéfices sont évidents sur le plan pédagogique ! »

Mais les destinataires ne partagent pas tous son élan pour l’outil numérique : adressé aux étudiant·es musicien·nes des écoles professionnelles de Suisse latine, un questionnaire conçu dans le cadre du projet a mis en évidence bon nombre de réticences. « Le travail à trois n’est pas forcément recherché par les étudiant·es, qui perçoivent souvent une forme d’antagonisme entre le dispositif numérique et le contact humain. J’ai été un peu déçu de ces résultats, marqués par une grande inquiétude envers la numérisation », confesse Anthony Di Giantomasso, qui prévoit de publier prochainement les résultats de sa recherche. « Mais ce questionnaire a aussi permis de mesurer la capacité des étudiant·es à se servir de l’informatique dans leur pratique professionnelle. On imagine que, pour cette génération, tout va de soi au niveau technologique… Or c’est loin d’être le cas ! Beaucoup sont mal outillés, et manquent des connaissances nécessaires. J’espère que cette recherche contribuera à défaire certains a priori. »